9éme séjour (2012/2013)

Neuvième séjour en Birmanie

 

Compte rendu du soutien humanitaire

de MAP (décembre 2012 –janvier 2013)

 

 

 

Cette fois-ci seule Lisbeth a été en mesure de faire le voyage, Pat ayant dû renoncer au dernier moment à cause de difficultés administratives dans l’université nigériane où il enseigne, de même que Michel pour des raisons de santé. Comme au cours des années précédentes, l’essentiel de ce compte rendu va porter sur le soutien humanitaire dans le domaine éducatif auprès de l’association «Irrawaddy Homeland» animée par le Père Benjamin, ainsi que dans le domaine médical auprès de l’association « The Light of Asia » présidée par le Dr Kyaw Htin dans un village à l’est de Mandalay.


Avant de me diriger vers l’ouest du pays, puis vers le nord, j’ai tout d’abord rencontré à Rangoun la Sœur Theresa, directrice de l’orphelinat/pensionnat Saint-Joseph, situé à Mawlamyine (fondé en 1853 par des religieuses de Gaillac). Parmi les quatre pensionnaires affectées par une maladie épidermique, les médicaments que nous avions pu acheter il y a deux ans sur les conseils d’un médecin de Rangoun, ont permis la guérison complète de deux d’entre elles ; les deux autres, moins chanceuses, sont retournées dans leur famille. Comme il avait été convenu auparavant avec Theresa par courrier électronique, nous avons alloué cette année une somme d’argent à la disposition de la petite pharmacie du pensionnat (car si l’évêque fournit au pensionnat une quantité de riz suffisante pour l’année, et si les leçons particulières d’anglais données par Theresa aux adolescents de la ville couvrent les frais généraux, les médicaments restent indéniablement hors de prix). Par ailleurs, une amie de chez nous, Dominique Mandrilly, avait prié Theresa de sélectionner une jeune fille particulièrement méritoire pour être parrainée. Après mûre réflexion,Theresa a porté sa confiance envers une dénommée Lucy, élève sérieuse, travailleuse et animée d’une générosité qui laisse présager qu’au terme de ses études, celle-ci se tournera vers une profession au service de ses concitoyens.


Il y a quelques années, MAP avait contribué à la construction de barques de pêcheurs dans une des zones ravagées par le cyclone Nargis, au sud de Rangoun (début mai 2008). Grâce aux connaissances de Lisa, présidente de l’association « Women for the World », j’ai pu entreprendre le trajet en autocar jusqu’à Kungkaunkun, hameau au bord d’un bras du delta, où j’ai été accueillie par le chef de cette petite communauté, U Thay Aung. Un jeune moine, à l’aise en anglais, s’est joint à nous, facilitant ainsi la communication. Les deux hommes m’ont expliqué que dans ce hameau la hauteur d’eau due à l’inondation, conséquence du cyclone Nargis, n’avait été que de 40 centimètres; mais toutes les maisons ont néanmoins été détruites car les murs de bambou n’ont pas résisté à plusieurs jours de contact avec l’eau de mer. Le monastère, qui jouxte le hameau, a alors accueilli tous les habitants pendant quatre mois, ainsi que ceux des agglomérations environnantes, le temps nécessaire à la reconstruction des habitations en matériau durable, grâce à l’aide financière d’Oxfam et de Swiss Aid. Actuellement, les habitants doivent se rendre quotidiennement au monastère afin de puiser l’eau potable de l’unique puits de la région. Le cataclysme de mai 2008 a eu comme conséquences heureuses l’intervention d’organisations humanitaires, le rapprochement entre les moines et la population locale, tout comme une prise de conscience nouvelle grâce à l’intervention fréquente de Lisa et de son équipe particulièrement dynamique composée de jeunes bénévoles qui n’ont pas épargné leurs forces pour secourir et redonner espoir aux nombreux sinistrés. C’est sous son initiative qu’a été créée une Banque du Riz locale, à l’image de celle qui fonctionne dans le delta. Les paysans des lieux, jusqu’alors recroquevillés sur eux-mêmes dans un sentiment d’isolement, ont pris confiance en eux et se prennent désormais en main : ils ont appris à faire en sorte de s’alimenter en appliquant des méthodes d’agriculture biologique, et mieux se prémunir contre les dangers naturels. A mon retour à Rangoun, alors que je relatais ma récente visite à Lisa, celle-ci m’a promis de m’accompagner l’an prochain à Bemî, village de pêcheurs qui a bénéficié notamment du soutien de MAP pour la reconstruction de barques détruites au cours du déferlement du cyclone.

 

Association « Irrawaddy Homeland », au sud-ouest du pays


Domaine agricole

Depuis plusieurs années le souci constant de Benjamin est de rendre autosuffisantes les activités dont il est responsable. Dorénavant, la culture du riz subvient aux besoins de tous les enfants et adolescents de l’école de brousse, du pensionnat de Myaungmya et du foyer estudiantin de Pathein. Les dernières récoltes ayant été plus abondantes, la condition des riziculteurs s’est fortement améliorée. Benjamin étudie actuellement la possibilité de commercialiser régulièrement le surplus de riz dont la vente contribuera à couvrir les frais de gestion de la communauté. Avant la création de la Banque du Riz par Benjamin en 2003, les paysans se trouvaient dans l’obligation d’emprunter à usure, et comme souvent ils ne parvenaient pas à rembourser leurs dettes, les usuriers saisissaient systématiquement leurs terres. Grâce également au soutien financier d’AVSI, Ong milanaise, qui a contribué à les libérer de leurs dettes, les parents bénéficient d’un revenu décent et peuvent donc envisager de racheter leurs terres ; les enfants sont à l’abri du besoin et les seuls qui restent à la charge de Benjamin sont les orphelins rescapés du cyclone Nargis. Dégagés de la hantise de la famine, les paysans ont décidé d’abandonner les fertilisants chimiques qui, en plus d’être dangereux pour la santé, rendent le sol dur jusqu’à devenir impénétrable. A la place, ils ont recours à une plante qui fertilise la terre d’une manière biologique, la laissant souple et perméable.


L’école de brousse

Cette école, non étatique, accueillant cent seize élèves, est subventionnée par des mécènes milanais. Bien que les diplômes ne soient pas reconnus par l’Etat, les paysans alentour la préfèrent dans leur grande majorité à l’école officielle parce que l’enseignement y est de bien meilleure qualité : classes plus petites et enseignants plus motivés. En outre, des stages professionnels sont à la disposition des élèves au terme de leur scolarité.


La porcherie du pensionnat de Myaungmya

L’épidémie qui avait décimé l’élevage de porcs l’an dernier n’est plus qu’un mauvais souvenir. Une nouvelle porcherie, à l’écart des locaux du pensionnat, a été construite depuis, répondant à de meilleures normes sanitaires. Son fonctionnement est désormais la responsabilité de deux jeunes femmes employées à plein temps, et logées dans une maisonnette en bambou. Dans ces circonstances, les cochons prospèrent : leur vente assure le revenu principal du pensionnat, complété par la commercialisation des noix de cajou cultivées près de l’école de brousse.


Le pensionnat

Le gouvernement ayant promis que l’électricité ne serait plus coupée pendant la journée, tout au moins jusqu’aux prochaines élections, les conditions de vie se sont sensiblement améliorées. Les élèves semblent nettement plus épanouis : en dehors des horaires scolaires proprement dits, ils occupent leurs loisirs à s’initier à la danse et à la peinture. Il est réconfortant d’observer que même si la vie de ces enfants reste rudimentaire en comparaison avec celle de nos jeunes concitoyens en général, l’amélioration est perceptible : elle se manifeste par des visages plus souriants que les années précédentes.


Le foyer estudiantin à Pathein

Pour l’année 2013, le soutien financier de MAP se portera, comme auparavant, sur les bourses d’études d’une vingtaine d’étudiants (dans les matières suivantes : mathématiques, physique, biophysique, chimie, microbiologie, géologie, mécanique, droit et anglais). De l’avis même de Benjamin, les étudiants, bien qu’assidus, manquent d’enthousiasme dans l’ensemble car ils se rendent compte que leur formation est trop théorique, et par conséquent peu adaptée à une application fructueuse auprès de leur communauté, une fois leurs études achevées. C’est pourquoi Benjamin, soucieux de leur épanouissement, tout comme de leur rôle souhaité dans l’amélioration des conditions de vie de la communauté dont ils font partie, a décidé de leur permettre de faire un stage concret postuniversitaire pour acquérir des connaissances (notamment en comptabilité, informatique et dans la pratique de l’anglais) directement applicables aux besoins de leur communauté.


Association «The Light of Asia», à l’est du District de Mandalay


Le centre médical de Kan Gyi Khon

Ce centre médical a reçu la visite en été 2012 de deux médecins de Nice, les Dr Mariane Casari et Xavier Bihr. A leur retour, ils nous ont fait parvenir un compte rendu très positif, ce qui est pour nous un nouveau gage de confiance et d’encouragement. Le médecin de service et le chef du laboratoire qui m’ont reçue à Kan Gyi Khon ont signalé le matériel médical le plus urgent à acquérir :

° une hémocure (appareil destiné aux analyses de sang),

° trois micro-pipettes de dimensions différentes pour détecter l’anémie des femmes enceintes.

Suivant les conseils du médecin et du chef de laboratoire, je suis retournée à Mandalay en compagnie du Dr Kyaw Htin (Président de l’association « The Light of Asia ») pour acheter ce matériel médical. Par ailleurs, l’an dernier nous avions participé, par l’intermédiaire de MAP, à l’acquisition d’une ambulance mise au service du centre médical. La contribution de MAP s’était élevée à un tiers du montant ; cette année notre contribution a pu permettre de régler le reliquat (voir en fin de compte rendu les détails comptables). J’ai appris avec satisfaction que l’ambulance rend de fréquents services pour le transport urgent des femmes sur le point d’accoucher, des malades gravement atteints, de même que des accidentés de la route.


Le monastère bouddhique

Lorsqu’il y a plusieurs années nous avions pris contact avec ce monastère pour la première fois, nous supposions, trompés par les apparences, que c’était un foyer douillet pour religieux à l’écart des turbulences de la société birmane et des souffrances nées de la misère qui frappait la majorité du peuple. Nous étions loin d’imaginer le rôle important joué par ces moines qui, sans faire de vagues à l’extérieur, offraient à l’intérieur un refuge pour femmes et hommes soucieux de préparer l’avenir social, culturel et politique de la Birmanie.

Notre vision du monastère a changé en 2008 lorsque nous avons été informés qu’à la suite du passage du cyclone Nargis, plusieurs moines, dont le supérieur du monastère, étaient allés passer quarante-cinq jours dans un village du delta afin de prêter main-forte à la population sinistrée (soins d’urgence apportés aux blessés, fourniture de vêtements et d’aliments de première nécessité, reconstruction d’abris de fortune). Il est indéniable que le cataclysme de 2008 a joué un rôle de catalyseur : les moines ont acquis une conscience sociale nouvelle ; conséquemment, le monastère est devenu un ferment de subversion politique, tout en se prémunissant contre les interférences délétères des sbires trop zélés du gouvernement. C’est actuellement un lieu privilégié où se rencontrent des personnes de bonne volonté, de toute obédience : les bouddhistes partagent ainsi leurs vues sur l’avenir du pays avec des chrétiens, des musulmans et même avec des personnes à la foi laïque affichée (rareté dans ce pays !). Dans une perspective de tolérance réciproque, les participants, futurs dirigeants potentiels de la Birmanie à inventer, font l’apprentissage de la démocratie et s’exercent à s’exprimer en public pour parvenir à plus d’aisance et une plus grande efficacité rhétorique. Des bénévoles spécialement formés viennent régulièrement assurer la coordination entre les Ong internationales et les instances birmanes. D’autre part, des stages ont lieu régulièrement à l’intention des jeunes enseignants (formation pédagogique) et des jeunes agriculteurs (initiation aux méthodes modernes d’agriculture biologique).


La Nouvelle donne politique

Il est désormais officiellement autorisé de critiquer le gouvernement, phénomène complètement inattendu il y a seulement deux ans. Jusqu’à preuve du contraire, il serait toutefois prudent de ne pas s’aventurer trop avant dans cette nouvelle liberté… Néanmoins, un certain nombre de libertés sont palpables : il est maintenant licite d’accepter l’hospitalité d’un habitant sans encourir six semaines d’enfermement comme précédemment ; les contrôles de passeports auprès des étrangers au cours de trajets en autocar sont moins fréquents ; il est autorisé de changer à un taux officiel des devises étrangères dans une banque, et les écoles privées vont être officiellement reconnues. Dans un tel climat d’espoir, il n’est pas surprenant que le chef du gouvernement, Thein Sein, malgré ses antécédents, jouisse d’une notoriété grandissante car il s’est montré capable, jusqu’ici, de faire avancer le pays dans le sens de la démocratie, tout en ménageant l’arrière-garde de son parti qui n’a rien perdu de son pouvoir de mettre un frein à la modernisation politique du pays, et même de faire machine arrière et ressusciter la loi martiale de l’impitoyable régime naguère encore verrouillé par les militaires.

Pour revenir brièvement à une région qui nous est chère, celle de Myaungmya, abritant notamment une importante communauté karen, Benjamin me confie avec un petit sourire malicieux qu’il nourrit l’espoir que sa région fera probablement l’objet d’un développement substantiel, en particulier grâce au fait que celle que l’on nomme avec admiration la « Dame de Rangoun » est originaire d’une famille qui habitait la ville de Myaungmya. Benjamin est confiant qu’elle ne sera pas indifférente au souvenir de ses origines…

 

Edito 2013: Lisbeth Martiny

 


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« Ce n’est pas le pouvoir qui corrompt, mais la peur : la peur de perdre le pouvoir pour ceux qui l’exercent, et la peur des matraques pour ceux que le pouvoir opprime ».


 Aung San Suu Kyi , Se libérer de la peur, 1991

 


 

 

Traduction en Anglais (English)

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